Va, vis et deviens
Récompensé au dernier Festival de Berlin dans le cadre du Panorama par le prix du jury et le prix du public, le long-métrage de Radu Mihaileanu est une merveille d’originalité, d’émotion, et de dépaysement.
Pour sauver son fils de la famine, une mère éthiopienne chrétienne pousse son fils de 9 ans à prendre la place d’un enfant juif mort pendant leur rapatriement vers Israël au milieu des années 80. Il doit se déclarer juif et mentir toute sa vie pour survivre, mais il n’oubliera jamais sa mère restée là-bas.
Si « va, vis et deviens » a pour fil conducteur l’amour, représenté sous de nombreuses formes, c’est aussi l’occasion de revenir sur une partie méconnue de l’Histoire récente d’Israël, période pendant laquelle les juifs blancs n’ont eu de cesse de manifester leur antagonisme envers leurs frères africains.
S’étalant de 1984 à nos jours, le film de Radu Mihaileanu (réalisateur de « Train de vie ») prend aussi le temps de montrer l’apprentissage du jeune Schlomo, de la langue à la connaissance de la religion, en passant par la découverte d’une autre culture, d’une autre géographie et de l’amour. Le titre lui-même du long-métrage revient sur ces différentes phases : « va » pour symboliser le départ et le voyage, « vis » correspondant plutôt à l’adolescence et tout le processus d’apprentissage qui y est lié, tandis que « deviens » est la fin de cet apprentissage et l’accomplissement de son destin. En ce sens, le film regorge de détails et de scènes clés au travers desquels passent de vives émotions (la lune, la marche pieds nus, etc.) et est montré son apprentissage (l’écriture, la douche, etc.).
« Va, vis et deviens » est également un long-métrage original parce on y voyage beaucoup (Afrique, Israël, Europe), on y entend différentes langues (yiddish, français, et dialectes africains) et on voit des paysages rares. En outre, le film distille avec adresse de grands moments d’émotions qui ne basculent jamais dans le misérabilisme et la facilité.
La densité du scénario entraîne une durée assez conséquente (2h25) qui, si elle est justifiée et se fait facilement oublier, propose parfois une curieuse et maladroite unité de temps, avec des passages de sa vie très développés et d’autre au contraire où le temps s’accélère. Mais le vrai seul défaut du film est peut-être de ne pas toujours parvenir à se détacher de son scénario, de prendre suffisamment de recul. Il en résulte une hésitation prolongée entre le docu-fiction pédagogique (la scène d’ouverture calme tout le monde) et le long-métrage poétique et émouvant.
Néanmoins, ces quelques imperfections ne retirent rien à la qualité globale du film, en particulier ses personnages, nombreux, attachants et originaux. Aidé par des dialogues remarquablement écrits, l’interprétation est remarquable et émouvante. Le rôle de Schlomo est alternativement incarné par Moshe Agazai (adolescent), Mosche Abebe (adolescent) et Sirak M. Sabahat (adulte). Il est vraiment merveilleux de retrouver dans chacun des interprètes la même détresse, la même angoisse, la même envie… un travail remarquable sur la direction des acteurs ! Roschdy Zem incarne à merveille et avec beaucoup de crédibilité un père adoptif ambitieux et sanguin tandis que Yaël Abecassis apporte beaucoup de douceur et de délicatesse. Roni Hadar est pleine de candeur et toute en beauté, et Rami Danon ainsi que Itzhac Adgar incarnent la sagesse absolue et la commisération salutaire.
Si l’on rajoute à tout cela une musique remarquable et solennelle qui mélange adroitement toutes les cultures croisées au cours du long-métrage, il devient évident pour tous que « vas, vis et deviens » est une œuvre trop rare pour la laissée passer inaperçue. Précipitez-vous au cinéma.
Belle critique ! un film que je vais aller voir très certainement d'autant que je suis assez fan de Roschdy Zem ( vu dernièrement dans Ordo ).
» Enregistrer un commentaire